L'homme regarda nerveusement une énième fois autour de lui, essuyant ses paumes de mains moites sur son pantalon de toile rêche.

Deux jours avant, "on" lui avait chuchoté à l'oreille de venir ici, dans cette ruelle anonyme, devant cette bâtisse sombre sans nom, qui semblait abandonnée depuis si longtemps que les carreaux crasseux ne filtrait pratiquement aucune lumière. "On" lui avait dit de rentrer, et de refermer derrière lui et…. D'attendre.

Qui était ce "On" ? Même lui n'aurait pu le dire….

Ici, comme ailleurs, des murmures voletaient d'une bouche à l'autre dans les auberges, les tavernes, au détour d'une conversation.

Ici, comme ailleurs, des marchés parallèles et secrets existaient. Pour certains, le recel d'objets d'art, de reliques venant des temps anciens, magiques ou non, des livres interdits, trop dangereux, trop tendancieux, et, bien évidemment, toutes sortes de drogues. Les Autorités savaient, il y avait des "descentes" mais arrêter qui ? Pourquoi ? Et ce n'était que les petits poissons qui étaient stoppés dans les mailles des filets, les gros s'en sortaient.

Ici, comme ailleurs, tout se vendait, tout s'achetait, même la vie d'un homme… Et c'est ce que lui, avait chuchoté…. Murmuré…. Laissant ses paroles voler, et trouver leur chemin jusqu'à une personne qui pourrait l'aider.

Alors "on' s'était approché, une connaissance ? Peut-être…. Un autre murmure : l'ami d'un ami, qui connaissait quelqu'un, qui lui-même avait un ami….. Remonter jusqu’à qui ? Comment ? Nul n'aurait pu…. Mais on savait le contact dangereux, seule chose certaine parmi ces dizaines de chuchotements : "Il fera le boulot que tu as demandé, mais, méfies toi, ne lui ment pas, ou c'est toi qui aura la gorge tranchée".

Tout cela lui était tellement étranger ! Mais son désir de vengeance l'avait poussé à accepter. Il avait hoché la tête… "On" lui alors dit de venir ici. Et il était là, malade de peur, le visage vert d'angoisse, mais toujours farouchement décidé à aller jusqu'au bout.

Encore une fois, il regarda autour de lui, nerveux, et poussa un cri étranglé, quand, en se retournant, il se retrouva nez à nez avec une forme sombre, qui ne bougeait pas, comme ayant toujours été là.

Un être encapuchonné, de taille moyenne, semblant presque frêle, dont il ne put voir les traits, ce qui rendait l'apparition encore plus angoissante.

Il recula et grimaça quand il vit l'entité avancer vers lui, comme glissant plutôt que marchant.

"Tu voulais me voir ?" Chuchota la chose et il se détendit un peu, un tout petit peu. Le son de la voix était velouté, rauque, presque rassurant, un timbre féminin.

Il balbutia, la gorge sèche "Oooui….. On…. M'a dit que vvvvous pourriez m'aider"

La femme au visage caché pencha un peu la tête.

"T'a-t-on expliqué comment ça allait fonctionner, et ce que tu devais m'apporter ?"

Il hocha vigoureusement de la tête, et sortit nerveusement un papier.

"Vvvvoila….. Le nom de l'homme qque vous devez…. " Il déglutit, ne pouvant prononcer le mot "Et… le mien….."

Une main gantée de noir apparut, récupérant la note.

Il continua à parler rapidement, sa nervosité le rendant soudainement bavard.

"Je sais les conditions, on m'a expliqué. Vous allez vous renseigner et si jamais j'ai menti c'est moi que vous…."

La main gantée se leva, l'intimant au silence et l'homme se mordit la langue en baissant les yeux.

"Maintenant, explique-moi pourquoi tu veux tant le voir froid"

La voix avait un étrange accent apaisant, et il se laissa aller à lui parler franchement, sans détours, contant son histoire si douloureuse qu'elle lui avait vrillé le cœur durant des mois, l'empêchant de dormir, de manger, de retrouver la simple joie de vivre que les gens vivant aussi chichement que lui réussissaient malgré tout à conserver comme un doux trésor caché.

Il n'était pas riche, sa femme morte en couche lui manquait cruellement, mais l'amour que lui prodiguait chaque jour son enfant le comblait de bonheur. Sa fille, son joyau, si pur, si beau, si rieur.

Il avait été heureux lorsqu'un marchand lui avait offert un travail de femme de chambre. Travailler pour un noble, ça ne pouvait qu'être bénéfique ! S'il avait su…..

Sa beauté, voilà la seule chose qui avait poussé l'homme à la faire venir chez lui. Quand elle avait refusé ses avances, il était rentré dans une colère noire, l'entraînant dans la cour de son jardin, sa main mordant douloureusement les chairs du bras diaphane de la frêle jeune fille, puis lui avait jeté un liquide au visage, elle n'avait pas compris, jusqu’à ce qu'elle s'enflamme.

Elle avait hurlé mais il n'avait pas bougé et c'est en la croyant morte qu'il l'avait faite ramener devant chez elle, jetée comme un sac.

Son père, impuissant, n'avait pu que recueillir les dernières paroles de son enfant supplicié, avant qu'elle ne s'éteigne.

Aucune preuve, bien évidemment, aucun témoin, c'est seul dans sa rage et sa douleur qu'il survivait jusque-là.

La femme l'écouta sans l'interrompre, comme malheureusement habituée à entendre des récits peut être parfois pires que le sien.

"Il n'a pas été puni pour ça, vous comprenez ? Moi….. Moi je ne peux rien faire !! Mais vous ?? On… on m'a dit que vous pourriez ?" Ses yeux pleins de larmes fixèrent la femme cachée, une lueur d'espoir douloureux dans son regard d'homme brisé.

Elle sembla réfléchir un moment, puis fit un simple hochement de tête.

"Nous enquêterons, puis nous jugerons. Si ce que tu dis est vrai, alors ce sera fait. Si tu as osé nous mentir, tu subiras notre ire." La voix était toujours sensuellement veloutée, mais la menace n'était pas du tout dissimulée et l'homme ne put retenir un frisson.

Encore une fois, il opina, effrayé.

"Pour le paiement com…." Il s'arrêta en la voyant reculer, retournant dans la pénombre crasseuse de la boutique.

Au loin, la voix se fit entendre, venant de partout et de nulle part.

"On frappera à ta porte, tu sauras que c'est nous…. Tu devras t'acquitter de ton du, c'est tout."

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Quelques semaines plus tard, les servants d'un riche marchand le trouvèrent raide mort dans son lit, les lèvres bleues, les yeux écarquillés, la main crispée sur son cœur. Vue sa corpulence, personne ne fut étonné que son cœur ai lâché. Pris par l'étonnement et la surprise, d'aucun ne remarqua la petite araignée finement dessinée sur la tête de lit.

Un homme, dans sa petite masure, lui, retrouva, non pas une joie de vivre, mais un apaisement, la sensation d'une justice rendue et, quand, un beau matin, une jeune Aoranne, d'à peine une dizaine d'années vint frapper à sa porte pour demander l'aumône, c'est avec un sourire doux qu'il mit une bourse pleine de gils dans la paume de l'enfant où l'on avait crayonné le petit dessin d'une araignée…..